Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

U2 au galop

Hippodrome de Montréal. Dix heures du matin. Soleil tappant et vent violent. On a le droit d'avoir oublié l'existence de l'hippodrome mais nul ne peut ignorer ce qu'il s'y passera les 8 et 9 juillet prochain.

MusiquePlus, Radio-Can, Global, TVA et CTV sont là. Pourtant, l'endroit est désertique et les photographes ironisent sur la beauté des lieux. Ils ont raison. L'hippodrome a tout d'un stade abandonné: herbe haute, tôle rouillée qui git ça et là. Le vent balaye la poussière de la vieille piste accidentée. Pas le meilleur endroit pour réussir la photo du siècle.

Mais voilà, les médias sont réunis parce que la société evenko présente l'endroit qui accueillera U2 pour deux spectacles dans le cadre de la tournée 360°. Jacques Aubé, directeur général d'evenko paraît très fier de raconter la progression de l'immense chantier qui a commencé en mai dernier et qui s'achèvera deux jours seulement avant le premier concert de Bono et sa bande.

C'est d'ailleurs le groupe qui se paye l'hippodrome. Ce n'est pas n'importe quel band qui a les moyens de s'offrir un stade. U2 a commencé sa tournée en juin 2009 et arrive au bout de deux années chargées de dates autour du monde.

Les 8 et 9 juillet, ce sont en tout 160,000 personnes qui seront attendues. Les négociations ayant commencé au printemps 2009, on peut comprendre la joie des gens d'evenko de voir le projet se finaliser. C'est d'abord au stade Olympique qu'on a pensé mais l'indisponibilité de ce dernier a obligé les organisateurs à trouver un autre endroit. Finalement, l'hippodrome, équivalent de quatre Centres Bell, est choisi.

Avec à sa charge près de 4 millions de pieds carrés à ordonner, Pierre Lemieux, de la société québécoise Trizart, nous accompagne dans les gradins vertigineux contre lequel le vent violent vient se cogner en faisant un bruit très inquiétant. Tout autour sur ces sièges où l'équilibre n'est pas évident à trouver, il faut s'imaginer 80,000 personnes en liesse. Entre le classique «Sunday bloody sunday» et un titre plus récent comme «Vertigo», les spectateurs n'auront pas le temps de se rendre compte de l'apparente fébrilité des gradins dans l'ivresse des riffs de The Edge.

Evenko est fier de son partenariat avec la STM et conseille de ne pas venir en auto afin d'éviter les encombrements de masse dans ce lieu enclavé au bout de la rue Jean-Talon, et enclavé est un bien faible mot pour décrire l'endroit. Même à un plus d'un mois du show, evenko semble confiant: les deux dates sont déjà un succès...

Qu'attendre de U2? Déjà l'an dernier, lors de leur passage au Rogers Centre à Toronto, on a eu l'écho d'un groupe, certes toujours aussi mythique, mais à la prestation très mécanique et au leader toujours aussi distant avec son public.

Quand j'entends le nom U2, et que je vois cet immense projet de 4,000 tonnes d'acier à l'hippodrome, deux pensées me viennent. Tout d'abord, évidemment l'admiration. U2, le groupe qui passe à travers les âges, une musique intemporelle qui n'a pas subie l'atroce influence des années 80, un groupe qui s'est affirmé dans les années 90 puis qui est devenu légendaire dans les années 2000. D'une manière ou d'une autre, le monde entier est fan de U2. Néanmoins, les années 2010 me paraissent moins glorieuses, à l'image du charismatique Bono, aujourd'hui plus associé à son image d'homme d'affaire impitoyable plutôt que de l'artiste emblématique qu'il fut.

Bono ne connaît pas la crise, même depuis son Irlande natale qui vit d'ailleurs, de son côté, des temps très durs. Bono, lui, ne s'est jamais si bien porté.

Le personnage me semble illustrer cette éternelle contradiction d'un artiste qui chante la liberté et l'amour tout en prenant part cyniquement au monde des finances, du business, et de la spéculation. Il est aussi l'instigateur de ces artistes bankable pour qui le mot «bénévole» est inconnu, et fait partie des inventeurs de la markétisation de l'aide humanitaire, toujours dans les bons coups, surtout en Afrique pour nous sommer de donner, donner et donner. Alors que le monde loue son altruisme et qu'il jouit d'une image intouchable, Paul Hewson (de son vrai nom) profite sans entrave des revenus astronomiques qu'il génère et qu'il transfère en part de marché tout en menant ses opérations charitables, prenant bien soin d'éviter de faire se rencontrer les deux mondes.

Parfois je me dis qu'on se moque de nous. Comment Bono, premier à dénoncer la pauvreté, la faim dans le monde, les abus des puissants (dont il fait aujourd'hui partie) peut-il dans le même temps participer à un système qui donne l'impression d'accentuer cette même pauvreté et cette même faim dans le monde tout en soutenant les richesses de ces mêmes puissants?

Mais doit-on vraiment penser à tout cela quand on va voir U2? Probablement que non; le groupe demeure un symbole splendide du rock post seventies dont les hits n'ont pas pris une ride. Dans ces immenses stades, le show est assuré, et les spectateurs montréalais sont d'avance comblés. À 360 $ le siège, on ne peut qu'être comblé.

Finalement, ce qu'il faut attendre du groupe aujourd'hui n'est peut-être que l'écho d'un vieux souvenir qui nous donnait le frisson avec ses refrains allégoriques comme «but I still haven't found what I'm looking for». Finalement, c'est peut-être ce Bono en question qui a raison: utiliser le marché à ses propres fins pour s'offrir des lieux aux constructions titanesques comme l'hippodrome de Montréal. Ainsi on ne peut que se réjouir de l'utilisation évènementielle de ces places en déclin par des groupes comme U2 qui, de leur côté, ne seront jamais en déclin.

U2 à l'hippodrome de Montréal, 8 et 9 juillet 2011. Il reste un peu moins de 3,000 places pas encore vendues.

 
Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article